A vous...
L'inspiration ne vient pas aujourd'hui. Il y a des jours, comme ça. Je regarde le ballet incessant des voitures sous ma fenêtre, je regarde le ballet sinueux des lignes colorées qui s'affichent sur mon ordinateur, je regarde encore un avion gris qui vole dans le ciel gris et la carte de France version 1mx1m qui orne le mur de mon bureau, et je peux le dire : l'inspiration ne viendra pas aujourd'hui. Alors pour éviter de ne parler de rien avec des mots creux, je vais vous laisser la parole. Il faut dire, mes derniers articles vous ont inspiré, et je ne voudrais pas laisser toutes ces réflexions pertinentes et gentilles être oubliées trop vite.
Lily :
Les mythes ont toujours plusieurs entrées possibles et chacun y prend ce qui lui parle. Pour ma part, je pense qu'ils présentent de façon symbolique la complexité de la psyché. A travers ton récit, tu me donnes envie de davantage connaître l'histoire de Narcisse. Je ne sais pas si nous pouvons parler de pureté et d'innocence, moi, à priori je discerne plutôt une certaine immaturité ou une immaturité certaine. Nous naissons d'une relation (d'amour) entre deux êtres et le sens de notre vie est inscrit là, me semble-t-il. C'est-à-dire, à notre tour, découvrir et aimer d'autres personnes, nous ouvrir à l'altérité.
Il ne s'agit pas de porter des jugements sur ce personnage, mais de tirer de son histoire des éclairages sur l'humain. Je vais y réfléchir ... Pas forcement dans l'immédiat. Ah, ah, "je vais y réfléchir", bien sûr à travers mon beau miroir !
Bien sur, mon analyse du mythe de Narcisse n'est pas exhaustive. Je ne vais pas faire une thèse sur le sujet, et mes mots sont parfois approximatifs. C'est vrai que Narcisse fait montre d'une immaturité incommensurable, mais j'ai envie de voir dans son histoire plus que cela, peut-être de l'innocence, peut-être le fruit du destin contre lequel on ne peut rien.
Josette :
Pour Don Juan, je ne suis pas certaine qu'il s'aime, je le vois comme l'archétype de l'homme qui n'aime pas les femmes, il n'est là que pour prouver leur faiblesse, toutes les femmes séduites par Don Juan mettent en garde leurs soeurs ;celui qui aime les femmes c'est Casanova ! mais tout ça c'est une autre histoire...
Encore une fois, c'est vraiment pertinent : le parallèle entre Narcisse et Don Juan devait être pris au second degré, et savoir celui-ci s'aime ou se contente de détester les femmes est un vrai débat.
Que oui certains jours on se croise sans se reconnaître : à ton âge parce qu'on est surpris par la jolie silhouette d'une jeune femme séduisante et qu'on est toute surprise de s'apercevoir que c'est de soi-même qu'il s'agit... à mon âge parce que le visage marqué et un peu gris qui vous fait face au lever n'est pas celui qu'on a de soi dans sa tête !!! et c'est heureux car on se sent jeune d'esprit même si on connaît son âge et il est toujours étonnant de lire dans un miroir les ravages du temps. Le regard nous est donné pour embrasser le monde et il est un peu embarrassé quand c'est nous-même qu'il croise, il n'a pas l'habitude.
C'est exactement cela que je voulais dire... allez, pour la route, une citation d'un roman que je viens de finir :
"Subitement, le reflet d'un visage apparut sur cette vitre arrière.
Marion eut un imperceptible mouvement de recul en se faisant face aussi brutalement.
Son visage était celui d'un fantôme. Ses traits doux ne suffisaient plus aujourd'hui à la rendre agréable au regard, elle était devenue trop pâle, sa lèvre fendue lui barrait la bouche comme la virgule d'une phrase en suspens pour longtemps, ses cheveux couleur sable trahissaient quelques mèches blanches et surtout, ses yeux avaient perdu tout éclat, le jade inquisiteur et flamboyant avait laissé la place à deux braises mourantes. "
Le sang du temps, Maxime Chattam
Le petit poème de Desnos a eu un grand succès - je vous le rappelle, juste pour le plaisir :
Es-tu narcisse ou jonquille ?
Es-tu garçon, es-tu fille ?
Je suis lui et je suis elle,
Je suis narcisse et jonquille,
Je suis fleur et je suis belle
Fille.
Josette :" Merci pour les textes avec une préférence pour Desnos ! "
Michelaise :" Mon préféré, qui a fait tilt au point de me dire je vais l'apprendre par coeur celui-là, c'est celui de Desnos... un forme d'expression qui me fait frétiller de joie ! "
Lily :" J'aime bien le petit poème de Desnos, si frais et léger ! "
Allez, j'avoue, moi aussi je le trouve délicieux !!
Ce qu'il y a d'étrange et de prenant dans l'oeuvre de Dali c'est que l'image qui, dans l'iconographie traditionnelle, se reflète en miroir selon un ligne de reproduction horizontale, ici est reproduite selon une ligne verticale. Et pas en miroir mais sans reflet, dans le même sens. Cette répétition se fait du sujet adouci à un semblable, pas inversé, mais délité. Cela crée un malaise par rapport au concept du Narcisse, celui ci est semblable à lui-même, puisque dans le même sens, et pourtant de pierre, de ruines et de déliquescence. Ce qu'on suppose être le reflet est, au lieu d'une image idéalisée, et fragile qu'une simple onde pourrait troubler, une image pervertie, grise et immuable dans sa ruine. Cela crée le malaise qui nous saisit à l'idée de cet autre, si loin du premier, et pourtant indissolublement lié à lui.
Encore une fois, merci pour ces remarques judicieuses... il est bon de confronter les points de vue, et je n'avais pas remarqué les détails que tu pointes du doigt. Narcisse en "homothétie" et non un miroir, en effet, c'est peut-être de là que viens le malaise qui m'a pris quand j'ai regardé ce tableau. Un reflet de pierre grise, voilà une vision bien désespérée du mythe de Narcisse.
Lily :
Parmi les peintures, celle du Caravage a ma préférence. J'y remarque que le reflet de Narcisse le représente en plus âgé.
Pour ce qui est de Dali, il fait partie du courant avant-gardiste et je m'y retrouve sans vraiment m'y retrouver. J'aime que la scène soit dépouillée de son aspect réaliste et concret pour toucher au symbolisme et à la force qu'exercent sur nous les couleurs. J'y vois le drame humain de la solitude qui conduit à la mort. Une fleur est sur le point d'éclore ... Mais est-ce suffisant ? Ne sommes nous pas en droit d'espérer plus ? Ne sommes nous pas davantage attirés par ce groupe humain, sur le chemin près du rocher ? Dali dans le poème, à la fin, évoque Gala, la muse, l'aimée, la femme qui peut-être ... lui a fait découvrir (Je ne sais) ce que c'est qu'aimer.
Pour ma part, je pense qu'il est bon d'être un peu narcissique, pour se construire, prendre de l'assurance, mais que la création de liens conditionne notre aptitude au bonheur. Se connaître peut devenir une obsession qui nous tire constamment comme un chien fou et tyrannique vers des horizons de solitude et de dureté. N'est-ce pas aussi dans le regard des autres, amis ou pas, que nous nous découvrons ? Oui, la société prône trop la réalisation personnelle, mais c'est en réaction à une époque où il était jugé coupable de s'intéresser à soi. Équilibre toujours difficile et précaire !
Je n'avais pas remarqué que le visage de Narcisse était flouté, vieilli dans le reflet, mais maintenant que tu le fais remarquer, je n'en trouve que plus de beauté à la peinture du Caragage.
En ce qui concerne Dali, peut-être ton malaise est-il du à l'approche originale et dérangeante consistant à refléter la vie par de la pierre morte et grise ? C'est vrai que le groupe dansant au second plan est bien plus attirant que la figure de Narcisse.
Ce que tu dis sur la nécessité d'être un peu Narcissique tout en restant ouvert aux autres, il n'est pas utile que j'y revienne, n'est-ce pas ? Tu as su exprimer ce que j'aurais voulu dire !
Josette :
Je viens de retrouver ce Narcisse de pré vert...(pardon jeu de mot digne d'un almanach !)
Narcisse se baigne nu
De jolies filles nues viennent le voir
Narcisse sort de l’eau s’approche d’elles
et s’aperçoit qu’il n’est plus tout à fait le même
Quelque chose en lui a changé »
Il se caresse de la main
étonné de donner sans le vouloir ni le savoir
comme un jeune cheval entier
les preuves de sa naissante virilité
Et retourne dans l’eau
plus ébloui que gêné
Et regarde les filles
puis
dans l’eau à mi-corps se regarde encore
Et voit
par un phénomène de réfraction
un bâton brisé
Il se noie
Déçu enfantinement désespéré.
Narcisse, Jacques Prévert – Spectacle
Encore une fois, tu es délicieusement dans le ton, Josette... quel plaisir !
Josette :
Lorsque tu te regardes dans la glace
En te disant : « C’est moi », il vient toujours
Un moment de panique. Es-tu en face,
Es-tu ici ? Quid de ce moi venu un jour,
Dont il ne restera plus rien. Oui, des douzaines
De photos, une voix. Cire et papier ? Moi, là-dedans ?
Que saur-t-on de mes amours et de mes peines ?
Plus de faims, plus de peurs, pas même un mal de dents.
Silencieux le sang, morte à jamais l’haleine,
Douce haleine brouillant aujourd’hui le miroir
Où mon être apparent a cessé de se voir
Lorsque tu te regardes, Liliane WOUTERS (1930 Belgique)
Merci de nous faire découvrir cette artiste, Josette !!
En riant sous cape quand tu traiteras quelqu'un de "vendeur d'orviétan", ça sonne bien, il croira peut-être à un compliment !
J'y pense... à la première occasion, je serai curieuse de voir la tête que fera celui que j'interpellerai ainsi !
Josette :
Pour rester dans le domaine des apothicaires nous avons un autre remède avec la "Thériaque" considérée comme un électuaire miracle...
Nous avons près de nous tant de charlatan qui nous soignent avec des remèdes pire que le mal sous couvert de sciences...
Oui, Josette, il y a trop de charlatans, qui s'en prennent souvent à ceux qu'il faudrait protéger, en plus. Je ne connaissais pas la Thériaque, mais un petit tour par la case dictionnaire a remédié à cela !!
Et parce que cet article vous est dédié, j'en profite pour vous dire merci à tous !!
Je voulais simplement vous dire : votre présence me fait chaud au coeur, vos petits mots sont parfois un sourire, parfois une émotion, toujours un grand bonheur.