Le monsieur à l'accueil
Il y a des moments comme ça où il me semble que je n'ai plus le temps de rien.
Plus le temps de prendre le temps de vivre ma propre vie.
Et mes projets restent à l'état de jachère, et mes idées s'empilent en vrac dans ma tête, débordent de partout et finissent par se perdre dans l'immense labyrinthe du quotidien. Ne me dites pas que vous ne l'avez pas remarqué! Le reflet de ma "vie" sur internet est en friche.
Ceci dit, je tiens tout de suite à rassurer les inquiets: ce n'est pas du tout une crise de déprime que je suis en train de vous servir toute chaude sur un plateau! Comme tout le monde, je mange, je bois, je dors, je fais l'amour, je vais à des expos – non définitivement le cinéma je n'y arrive pas – je fais du shopping, etc. Et dans cette vie bien remplie (surtout par le travail il faut quand même l'avouer), c'est pour les choses les plus importantes que je manque de temps.
J'oublie de regarder les gens, de profiter du soleil, etc. Aussi ce matin, en voyant le grand ciel bleu je me la suis jouée « prise de conscience » genre « je vais profiter de la vie », etc, etc.
A grosse résolution, grosse désillusion ! Malgré les rayons dorés du soleil qui magnifiaient toute chose (l'accès de lyrisme a pour but de vous faire comprendre mon état d'esprit matinal) j'ai pris une grosse claque. En deux mots s'ouvrir au monde c'est d'abord regarder les gens. Et bon dieu que les gens sont disgracieux ! Je ne prétends pas être un top modèle mais, quand même, il y a des moments où trop c'est trop!
Madame ! Le manteau léopard et le maquillage de starlette, à ton âge, ça ne fait pas chic du tout !
Monsieur ! Ta chemise écossaise rouge ne va vraiment pas avec ta cravate. D'ailleurs elle n'irait avec aucune cravate. En fait elle ne va pas tout court. Et tu aurais pu te coiffer Monsieur !
Me voici arrivée dans mon bureau... C'est un tout petit peu plus simple pour écrire que le métro et mon téléphone portable !!
Je ne sais pas trop si je vous ai fait peur dans la première partie de cet article, mais bon... peu importe, n'est-ce pas. J'ai essayé de vous expliquer à quel point il est difficile de prendre le temps du superflu, surtout lorsque comme moi, on passe déjà beaucoup de temps aux loisirs. Pour vous donner une idée, je peux vous faire une liste des sujets que je pourrais aborder un de ces jours, si je décide de faire de ce blog non plus un blog de poésie mais un blog de vie quotidienne. Je pourrais vous parler d'expositions (les vanités, si décevantes, et Turner, absolument pas surfait), de mariage (ou comment choisir son DJ), de hammam, de cuisine de tous les coins du monde (même si je n'ai pas encore testé le seul restaurant éthiopien de paris, qui pourtant a d'excellents critiques sur internet), de barbecue sur ma terrasse et de virée shopping. Je pourrais aussi aborder le chant lyrique (enfin l'opéra, quoi) mais pas le cinéma (avec un écran de 2m à la maison, pas facile de se motiver pour aller dans les salles obscures), ou encore la Guinness du pub au coin de la rue, l'excitation d'un match au stade de France... Les sujets sont légion, vous dis-je...
Et pourtant, je ne vais, aujourd'hui, aborder aucun de ces thèmes pourtant fascinant et vous parler du monsieur à l’accueil. Peut-être que vous le connaissez déjà, d’ailleurs. Que vous l’avez déjà croisé.
Le monsieur à l’accueil, il est entre deux âges. Il n’est plus tout jeune, c’est vrai, mais ses tempes grisonnantes se font oublier derrière son sourire de bienvenue. Vous ne le connaissez pas vraiment, vous ne savez pas son nom, mais il fait partie de votre univers. Parfois il a été remplacé par une jeune femme pimpante, mais ce n’est pas pareil. Parce qu’avec le monsieur à l’accueil, tout était un juste mélange de retenue et de bienvenue. Vos échanges se limitaient à un sourire et un signe de la tête, parfois un simple « bonjour », et pourtant cette seconde matinale, insensiblement, vous armait contre la journée à venir.
Quand j’étais au lycée, il y avait un monsieur à l’accueil. Je ne m’étais jamais rendu compte du petit rayon de soleil qui éclairait mon arrivée dans la jungle scolaire. Et d’ailleurs, les bienfaits étaient tellement subtils que même en partant, je n’ai pas éprouvé de manque. Ce n’est qu’un an plus tard, lorsque je suis revenue pour les journées portes ouvertes et que j’ai recroisé le monsieur à l’accueil que j’ai compris à quel point un simple bonjour pouvait changer une journée.
Malheureusement, je ne vais plus dans ce lycée, mais j’ai retrouvé un pâle ersatz du monsieur à l’accueil. Parfois, en sortant du travail, je prends la sortie de derrière, et il y a un monsieur dans son guichet, qui me salue d’un signe de tête. Je ne le connais presque pas, je ne sais pas son nom, mais pendant un court instant, il y a ce « je ne sais quoi » qui se passe. Petit bonheur…